Le cododo, co-sleeping ou sommeil partagé et la présence régulatrice de la mère
Depuis quelques jours, les médias spécialisés ( ou pas ) relaie une contre vérité, et ce sans prendre le temps de vérifier les avis divergeants. Sur le Nouvel Obs, l’article débute avec une conclusion pour le moins culpabilisante :
Les parents qui font dormir leurs bébés de moins de trois mois dans leur lit (co-dodo) multiplient par cinq le risque de mort subite du nourrisson (MSN), selon une vaste étude publiée mardi 21 mai.
Le Pr Bob Carpenter, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, aurait rassemblé les éléments de cinq études internationales, qui concerneraient 1.472 cas de MSN ( Mort Subite du Nourrisson ). On entend par MSN « tous les décès inattendus et inexpliqués d’enfants âgés d’un mois à un an« . Voici les conclusions tirées de différents articles lus :
- 22% de ces 1.472 nourrissons dormaient dans le lit de leurs parents, et 88% de ces 22% de MSN n’auraient « probablement » pas eu lieu si l’enfant avait dormi dans son berceau.
- Les parents pratiquant le Co-dodo et respectant les règles de base du sommeil partagé augmenteraient de cinq fois la mort subite de leur bébé de moins de trois mois.
- 50% des décès par MSN arriveraient alors que bébé dort dans le lit de ses parents (Ne cherchez pas à recouper les statistiques…)
- Il y aurait en France environ 250 MSN par an selon l’INVS ( Institut de Veille Sanitaire )
- La MSN est très élevée jusqu’à six mois avec un pic entre deux et quatre mois et baisse par la suite.
- La MSN aurait fortement baissée depuis la diffusion des campagnes sensibilisant au couchage des bébés sur le dos.
- Le Co-dodo serait « populaire » ( Le nom peut être… )
Que nous révèlent réellement ces stats ? Mis à part des chiffres incohérents, ne précisant pas l’état des parents et les conditions de couche dans ces 22% de cas ( tabac, alcool, extrême fatigue, drogue, canapé, chute, couvertures inadaptées, oreillers, animaux domestiques… ), que nous apprend-on ? Que le Co-dodo est devenu une mode alors qu’il est pratiqué dans le monde entier depuis la nuit des temps ? Que la MSN a diminué depuis que les parents couchent leur bébé sur le dos ? Info ou comptes à régler ?
Une pratique ancestrale
Quasiment toutes les cultures du monde, mise à part la culture occidentale contemporaine ( et encore… ), pratiquaient et pratiquent encore aujourd’hui le sommeil partagé. Du moins pour le bébé allaité, souvent le plus jeune de la famille ayant moins de deux ans. Au Japon, le nourrisson qui dort entre ses parents est appelé kawa ( rivière entre les berges ). Dans certaines pays d’Afrique, l’on craint que l’enfant reparte durant la nuit accompagné des esprits, et de ce fait ils restent avec sa mère les premières années… En Colombie a été inventée la « méthode kangourou« , destinée à aider les prématurés à se développer de façon optimale. Le principe est simple. Les nourrissons prématurés doivent rester contre leur mère 24h/24, et donc dormir près d’elle. La mère se substitue ainsi à la couveuse. (Lire l’ouvrage de Nathalie Charpak, Zira de Calume et Annick Hamel, La méthode Kangourou, éditions ESF).
Dans nos sociétés occidentales contemporaines, ils s’agirait, en réalité, d’une pratique bien présente, surtout pour les six premiers mois de vie du bébé. Une pratique cachée. Les parents dormant avec leur bébé ressentent une telle culpabilité, un tel embarras, qu’ils préfèrent garder cela pour eux. Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et psychanalyste disait dans sa chronique « La famille dans tous ses états » sur France Culture en juillet 2003 :
« Des générations de psychologues se sont succédées pour asséner qu’un bébé, et encore plus un enfant, devait dormir seul dans sa chambre. Des générations de parents ont fait semblant d’adhérer à cette prescription pleine de bon sens. Dans la réalité, jamais conseil n’a été moins suivi comme viennent nous l’apprendre de nombreux parents contrits ou triomphants. (…) (1)
Les risques lorsque bébé n’est pas près de nous
La théorie de l’attachement insiste sur l’importance de la sensibilité de la mère aux appels émis par l’enfant, et sa capacité à y répondre. Le néonatologiste sud-africain Nils Bergman affirme que l’ « habitat » naturel du bébé est le corps de sa mère, et que s’il en est séparé, l’on pourra constater une « réaction de prosternation-désespoir ». Ce cri de détresse aiderait à la survie du bébé, en diminuant sa dépense énergétique, sa croissance, son rythme cardiaque, sa température corporelle, et en remontant les hormones de stress… Or, ces hormones du stress, lorsque leur taux est élevé, inhiberaient les fonctions intestinales, la digestion et la croissance. Les chercheurs ont également mis en évidence les modifications cérébrales induites par le stress chez les nourrissons : le taux de cortisol serait plus élevé, ce qui entraînerait des changements physiques dans le cerveau. (1)
De nombreux psychiatres sont convaincus aujourd’hui que le non respect des besoins du bébé peut induire, à long terme, des troubles de la personnalité. Selon le Dr Michael Commons, de la Havard Medical School :
« Les enfants que l’on laisse dormir seuls, ou que l’on laisse pleurer pourront présenter en grandissant des syndromes post-traumatiques et des troubles de la personnalité. (…) Dans la plupart des cultures, les jeunes enfants dorment avec leurs parents. Dormir seul est très stressant pour un jeune enfant ; le fait que beaucoup pleurent en la circonstance suffit à le démontrer« . (1)
Une chose est sûre. Une mère dont le nourrisson meurt alors qu’il dort près d’elle sera vivement jugée. La vivacité avec laquelle l’entourage et les services de santé blâme la jeune ( ou moins jeune ) mère est à la limite de l’indécence. Comme le rapportent de nombreux témoignages, lorsque c’est l’heure des investigations pour tenter de découvrir les raisons de la MSN, les parents qui avouent avoir dormi avec le nourrisson sont victimes du regard réprobateur de l’autre, et des sentiments qui brouillent l’enquête…
Le partage du lit est alors souvent immédiatement incriminé et qualifié de cause directe du décès, et de nombreux professionnels de santé condamnent avec la plus grande fermeté une promiscuité qui leur semble mortifère.
Les bienfaits du co-dodo
Les tétées nocturnes permettent la pérennisation de l’allaitement. La fréquence des tétées est déterminante pour la réussite de l’allaitement. Ainsi, il n’est pas rare qu’une mère allaitante dorme avec son nourrisson, pouvant ainsi plus facilement répondre aux besoins de son tout petit. Et le bébé réclamera également d’avantage, sentant sa mère, entendant son souffle. La loi de l’offre et de la demande dans toute sa splendeur.
Les mères qui gardent leur bébé auprès d’elles et qui l’allaitent la nuit constatent que leur bébé dort mieux, qu’elles-mêmes dorment mieux, et que leur sécrétion lactée est plus abondante.
Une étude de 2002 mettait en avant la qualité du sommeil du nourrisson lorsqu’il dormait avec sa mère. D’autres études scientifiques ont mis en avant la prévention de la MSN. En effet, un nourrisson isolé tombe parfois dans un sommeil si profond ( phases 3 et 4 ) qu’il stoppe spontanément sa respiration, du fait que ses mécanismes d’éveil ne sont pas encore au point. Or, lorsque le bébé sent le souffle de sa mère, entend papa ronfler, cela n’arrive pas. Son sommeil se synchronise avec le sommeil de sa mère, sa respiration également. Son sommeil reste plus léger. Le nourrisson a des phases de 3/4 d’heure de sommeil les premiers mois de sa vie, les adultes ont quant à eux des phases de 1h30, soit deux fois 3/4 d’heure. La MSN peut avoir pour cause un trouble du mécanisme d’éveil, et en cela le cododo préviendrait la MSN.
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L’anthropologue James J.McKenna a réalisé une expérience incroyable il y a quelques années, avec des mères qui dormaient trois nuits dans son laboratoire. La première nuit elles dormaient seules, la seconde avec bébé dans leurs lits, la troisième avec bébé dans une chambre séparée. Certaines de ces mères avaient pour habitude de dormir seule, d’autres avec leur bébé. Les vidéos suite à l’expérience démontrent que le sommeil partagé permet une veille de la part de la mère. Des demi-éveils lui permettant de s’occuper de son bébé tout en « dormant ». Le bébé lui aussi bouge, se réveille, prend le sein, et ceci dans le calme et la sérénité. Il y a d’avantage de sommeil léger ( phases 1 et 2 ) pour les pratiquants du co-dodo, et une véritable miséricorde : les inspections maternelles. Sans s’en rendre forcément compte, la mère, lorsqu’elle dort avec son bébé, veille sur lui, vérifie qu’il va bien… Pour James J.McKenna, le co-dodo sauverait véritablement des vies.
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Une autre étude avait calculé le nombre d’inspections nocturnes des mères. Et les chiffres sont extraordinaires : certaines mères se réveilleraient une quarantaine de fois durant la nuit pour s’occuper de leur bébé. Des gestes attentionnés comme lui toucher le bras, descendre la couverture, s’assurer qu’il est bien positionné, le mettre au sein… D’après le Dr William Sears, Le sommeil partagé développe l’intuition maternelle. (2)
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Les maternités « amies des bébés » favoriseraient aujourd’hui le cododo, afin de favoriser le lien entre le nouveau né et la maman dès les premières heures de naissance, faciliter la mise en place de l’allaitement, et ménager leur sommeil respectif. Car le co-dodo, c’est aussi éviter les nuits hachées, les aller-retours entre la chambre parentale et celle du bébé ( lorsqu’on répond à ses besoins 24h/24 ), c’est se préserver de l’inquiétude que l’on peut ressentir lorsqu’on n’est pas sûre que le baby-phone fonctionne…
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Le sommeil partagé, c’est aussi un besoin de proximité de la mère et de son bébé. Les mammifères gardent leurs petits collés à eux, c’est une de leur caractéristique. Même si nous sommes des mammifères « améliorés » par la grâce de Dieu, nous fonctionnons avec les mêmes pulsions, les mêmes normes physiologiques. Le sommeil partagé régule la respiration de l’enfant et son sommeil, comme dit plus haut. Il régule également ses modes d’éveil, son rythme cardiaque et sa température corporelle. La mère est une présence régulatrice.
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Dans son ouvrage « Guérir », David Servan-Schreiber explique par exemple : « Le docteur Hofer étudiait la physiologie des bébés rats lorsqu’un matin il s’aperçut qu’une des mamans rats avait quitté sa cage durant la nuit. Les petits rats laissés à eux-mêmes avaient un rythme cardiaque deux fois inférieur à la normale. Hofer a d’abord pensé que cela devait être dû au manque de chaleur. Pour vérifier son hypothèse, il a donc enveloppé un petit appareil chauffant dans une chaussette et l’a posé au milieu des petits ratons sans poil. A sa grande surprise, cela n’a rien changé. D’expérience en expérience, Hofer a pu montrer que ce n’était pas seulement le rythme cardiaque qui était lié à la présence régulatrice de la mère, mais plus de quinze fonctions physiologiques, dont les périodes de sommeil et le réveil nocturne, la tension artérielle, la température du corps, et même l’activité de cellules immunitaires comme les lymphocytes B et T, défenseurs de l’organisme contre toutes les infections. » (1)
Une étude néo-zélandaise de 1996 portant sur 2.000 enfants démontre que dormir dans la même chambre que le bébé jusqu’à ses six mois réduirait d’un quart le risque de MSN. Aux 5ème Assises Internationales sur la MSN à Rouen en 1998, le chercheur britannique Tony Nelson a présenté les résultats d’une étude menée à Hong-Kong. Selon cette étude, Il y aurait une réelle diminution du risque de MSN chez les bébés de moins de 6 mois dormant dans la chambre de leurs parents ( dans leur lit ou un berceau à côté ). (1)
En 2004, parurent dans le Lancet des conclusions inquiétantes selon lesquelles 16% des MSN mettaient en cause le co-dodo, contre 36% de ces mêmes MSN qui mettraient directement en cause le fait que bébé dorme dans une pièce séparée. Cependant, les signataires de l’article se désolidarisèrent de cette conclusion à l’époque, la MSN étant statistiquement non significative lorsque les mères sont sobres, non fumeuses, que les conditions de couche respectent les contraintes imposées. L’Unicef-UK avait même décidé de ne pas modifier sa brochure expliquant comment pratiquer le co-dodo ! (1) En d’autres termes, lorsque les règles du co-dodo sont respectées, la MSN ne survient pas.
Les précautions à prendre
Il arrive effectivement qu’il y ait des accidents lors du co-dodo. Mais il existe des règles simples avec lesquelles il ne faut pas transiger. Voici un Pdf de l’Unicef Uk traduit en français : Partager un lit avec votre bébé.
Voici les points à retenir (même s’il est intéressant de lire la brochure entièrement ). Cas dans lesquels il est proscrit vivement conseillé de ne jamais dormir avec votre bébé :
- Si vous (ou n’importe quelle autre personne dans le lit) êtes fumeuse, même si vous ne fumez jamais au lit.
- Si vous vous endormez sur un canapé ou un fauteuil avec votre bébé.
- Si vous avez consommé de l’alcool
- Si vous avez pris de la drogue ou un médicament qui pourrait vous rendre très somnolente
- Si vous avez une maladie qui affecte votre attention à votre bébé
- Si vous êtes anormalement fatiguée, à tel point qu’il vous est difficile de répondre à votre bébé.
Voici les règles à respecter en terme d’aménagement :
- Le matelas doit être ferme et plat – les matelas d’eau, les matelas trop mous ( rempli de granulés de polystyrène qui s’adaptent à chaque position du corps ) ou défoncés ne sont pas adaptés.
- Assurez-vous que votre bébé ne peut pas tomber du lit ou se retrouver coincé entre le matelas et le mur.
- La pièce ne doit pas être trop chaude, 16 à 18 degrés Celsius est idéal.
- Votre bébé ne devrait pas être trop habillé – il ne devrait pas porter plus de vêtements que vous n’en portez vous-même dans le lit.
- Le drap ou la couverture ne doivent pas recouvrir la tête du bébé ou lui donner trop chaud.
- Ne laissez pas votre bébé seul dans ou sur le lit – même un très jeune bébé peut gigoter et se mettre dans une position dangereuse.
- Votre compagnon doit savoir que votre bébé est dans le lit.
- Si un enfant plus âgé partage aussi votre lit, vous ou votre compagnon devriez dormir entre l’enfant et le bébé.
- Ne laissez pas les animaux de compagnie partager le lit avec votre bébé.
Les mesures de sécurité générales pour les bébés dormant avec les parents sont également très bien détaillées dans le livre d’Elizabeth Pantley (3), pages 62-66.
Il existe aujourd’hui des berceaux co-dodo, s’attachant au lit des parents, et permettant au nourrisson d’avoir un espace à lui, une fois la tétée terminée par exemple. Cela peut être une alternative intéressante.
Expérience personnelle…
Seconde nuit passée ensemble, ma cadette avait quelques heures. Nous sommes rentrées très tôt de la maternité pour profiter de notre espace cosi, notre grand lit, où je nous sentais plus en sécurité que dans celui de la maternité, haut et étroit. Elle régurgitait encore quelques glaires, c’est pourquoi j’avais relevé légèrement le matelas. Afin de la sentir et de me réveiller en cas de besoin, je l’avait placé près de mon visage, et non pas près de mon sein, me sentant fatiguée suite à l’accouchement. Il est 10h du matin, une grasse matinée heureuse. Je suis plongée dans un sommeil comblé.
C’est alors que je sens des battements sur mon visage. Des petites claques inoffensives et silencieuses. J’ouvre les yeux, et je découvre grâce aux rayons traversant les rideaux son visage. Il est bleu. Et de la mousse sort de sa bouche. Ses yeux révulsés, je comprends qu’elle s’étouffe et bondis en hurlant à mon époux d’appeler les pompiers. Je l’attrape et me souviens de ma formation de secourisme. Je me souviens aussi de ma conversation avec le pédiatre la veille. Je lui avais demandé de me confirmer les bons gestes en cas d’étouffement. SubhanALLAH. ( Relire Connaître les gestes de premiers secours : L’étouffement de bébé ) Je la place sur mon bras, la tête légèrement vers le bas, et je tape entre ses omoplates. Je vois des glaires, et encore des glaires… J’ai l’impression qu’elle respire, mais je n’arrête pas, je continue… Jusqu’à ce qu’elle pleure. Mon corps était meurtri. J’étais paralysée. Elle allait bien à l’arrivée des pompiers.
Elle n’avait pas 48h, et à l’hôpital, dans son berceau, l’aurais-je vu se débattre ? Tout cela a été si silencieux ! Grâce à Dieu, notre fille a su m’appeler. Grâce à Dieu, j’ai su réagir. Grâce à Dieu. Le co-dodo est certes, pour moi, le meilleur moyen de vivre avec son bébé. Ça l’était avant la naissance de ma cadette, et vous l’aurez compris, mes convictions n’ont fait que de se renforcer avec l’expérience.
Si vous avez des exemples concrets, cassons les idées reçues selon lesquelles le co-dodo serait dangereux, et partagez avec nous vos expériences, vos anecdotes ! C’est à vous !
Bibliothèque :
(1) Partager le sommeil de son enfant, Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau ( Jouvence, 2005 )
(2) Être parent la nuit aussi, Dr William Sears ( La Leche League Internationale )
(3) Un sommeil paisible et sans pleurs, Elizabeth Pantley ( ADA Éditions )